mardi 22 avril 2014

Pensées Mozambicaines

Être dans l'autre hémisphère, la tête en bas, les saisons à l'envers, des voitures qui serrent à gauche, les routes comme des écorchures rouge brique, l' éclat du soleil est si vif, les couleurs de peau en négatif, les bouilles se déclinent sur toute la palette des noirs, ici quelques visages pâles, et pourtant.... cette impression que rien vraiment n'est différent...

Le décor change, mais si je reste toujours au bord de la scène, figurante bien plus que jeune première, je sens bien que j'ai les pieds sur la même terre. Ces hommes, ces femmes, partagent nos espoirs, nos rires, mêmes amours, même colère, même humanité, tant nous unit, qui est universel. Le voyage ne m'aveugle pas, l'air chaud et poussiéreux, pas plus que la vue de cette brousse que j'affectionne tant, ne me donne le vertige, non, ce n'est plus le cas. Pas de recul non plus, la réalité s'impose, lourde et constante, elle qui avance, riche et emmêlée.

Je reste pourtant éblouie par les étales de ces fruits parfaitement alignés sur le bord du chemin, par la gaieté des pagnes qui ondulent sur les jambes des femmes, par la façon dont les bébés sont bercés, enveloppés sur le dos de leur mère. Et touchée par ces regards qui ont vu tant d'étrangers dire vouloir les aider, qui interrogent "qui es-tu ? Que m'apportes tu?", qui oscillent entre espérance et désenchantement, qui parfois crient leur colère, ou la joie d'échanger un sourire, qui aimeraient croire que cette fois ce sera différent....

Au milieu de cet univers nouveau et pourtant déjà familier, allégée du quotidien, dans la sérénité de pouvoir me consacrer à mon travail, de fortes émotions me traversent, et se disputent mon attention... La joie de découvrir un nouveau contexte oscille avec la conscience que mon action est certainement plus narcissique qu'utile. Quand ma motivation reprend les rênes et s'évertue à être efficace, un petit diable remet en lumière toute la complexité à laquelle, prétentieuse, je m'attaque. Les mêmes voix questionnent mon goût des voyages, façon facile et confortable d'échapper à ma réalité... Quelques respirations et tout ce monde s'apaise et se tait, une fraîche douceur me remplit, mais reste une brume triste...

Le rêve de la jeune adulte qui voulait vivre au sud, participer au progrès humaniste et jouir du prestige de l'expatriation ne s'est pas laissé éteindre sans une vive blessure. Ces envies profondes sont contrariées, inexorablement, par une configuration familiale que je n'aurais jamais souhaitée... Certaines options se sont fermées, d'autres décisions seraient trop lourdes à porter. Être handicapée ne signifie pas être condamnée. Faire des choix, renoncer, aide à se définir, à grandir. On n'a plus les moyens de suivre la grande avenue alors on trace son chemin, pionnier de sa propre vie, libre et singulier. Dépasser le deuil de certains rêves et concentrer son énergie retrouvée à réaliser tous les autres. Et faire confiance... faire honneur à la vie, elle qui  sait si bien se renouveler.

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